Un ticket de métro à 1,30 €, puis 2,40 €, puis 4 €. Voilà l’effet tangible de l’inflation. En silence, elle grignote nos économies et met à mal les projets que nous pensions sécurisés. L’investisseur individuel, déjà seul face aux marchés, doit aussi affronter ce prédateur invisible. Et le plus ironique ? Ce prédateur est nourri par l’État lui-même.
1. L’illusion du contrôle économique
Apple en 1984 a fait plus qu’une publicité : la marque a raconté une histoire de libération. L’héroïne qui brise l’écran de Big Brother symbolise l’indépendance face au système. Cette image résonne parfaitement avec notre situation économique actuelle. L’inflation agit comme ce régime totalitaire : elle standardise, contrôle et limite la liberté financière individuelle.
En théorie, l’État contrôle l’inflation grâce aux banques centrales et aux leviers budgétaires. En pratique, chaque plan de relance, chaque création monétaire massive injecte plus d’argent dans un système où la valeur de chaque unité diminue. La monnaie perd du pouvoir, mais les dettes publiques s’allègent. Ce n’est pas une erreur : c’est un mécanisme. L’inflation est donc moins une conséquence qu’un outil.
Lorsqu’on investit, cette logique nous affecte directement. L’État a besoin d’inflation pour réduire le poids réel de ses dettes. L’investisseur, lui, voit son capital fondre. C’est une partie d’échecs où le camp adverse détient le plateau.
2. Le récit invisible de l’argent
Will Storr, auteur de The Science of Storytelling, explique qu’une bonne histoire repose sur un obstacle. L’argent raconte la même chose. Chaque billet porte en lui un récit : confiance, stabilité, promesse d’avenir. Mais lorsque l’État manipule le scénario monétaire, il change la fin de l’histoire.
Regardons cela concrètement. En 2009, une étude appelée The Significant Objects Project (Rob Walker et Joshua Glenn) a montré que la simple présence d’un récit pouvait multiplier la valeur d’un objet sans valeur de 2 800 %. Ce n’est pas l’objet qui change ; c’est la perception. L’inflation agit exactement de cette façon, mais à l’envers : elle détruit le récit de la confiance. Ce que nous croyons solide – notre épargne, notre retraite – perd soudain sa cohérence.
Nous assistons à une rupture narrative. Le franc, l’euro, le dollar ont tous été racontés comme des symboles de stabilité. Or chaque création monétaire non adossée à une production réelle déforme cette histoire. Plus de monnaie, mais moins de valeur. Plus de promesses, mais moins de confiance.
3. Comment protéger son récit financier
Comme Apple en 1984, nous devons créer notre propre mythologie financière : celle de l’indépendance. Voici quelques principes concrets :
- Repenser les actifs : un investissement immobilier ou une entreprise tangible resistent mieux qu’un compte liquide. Les biens réels gardent une utilité économique même lorsque la monnaie perd de la valeur.
- Automatiser l’investissement : les versements programmés limitent l’impact des cycles émotionnels et économiques. Un plan d’investissement mensuel agit comme une discipline, pas comme une spéculation.
- Diversifier les horizons : la zone euro n’est pas un monde fermé. Placer une partie du patrimoine en devises fortes ou en actifs internationaux réduit le risque d’exposition à la politique monétaire locale.
- Comprendre la dette : l’inflation avantage les emprunteurs, pas les épargnants. Mieux vaut être du côté de ceux qui utilisent la dette comme levier que du côté de ceux qui la subissent.
4. Quand le pouvoir du récit devient économique
Revenons à Apple. En 1983, la publicité du Lisa, pourtant techniquement parfaite, échoue. Pas de narration, pas de tension, pas d’engagement. Le produit n’a pas d’âme, donc pas de public. Un an plus tard, le spot « 1984 » devient un mythe. En quelques semaines : 3,5 millions de dollars de ventes, stocks épuisés, reconnaissance mondiale. (Source : Advertising Age, TV Guide).
Ce basculement illustre une vérité profondément entrepreneuriale : ce qui compte, ce n’est pas ce que nous vendons, mais le sens que nous offrons. Dans le domaine de l’investissement, ce sens s’appelle la souveraineté financière. En comprenant l’origine politique de l’inflation, nous cessons de la subir. Nous reprenons la plume de notre propre histoire.
5. L’inflation comme outil, pas fatalité
Certes, l’État crée l’inflation. Mais l’entrepreneur et l’investisseur peuvent en faire un moteur. L’entreprise qui indexe ses prix, qui détient des stocks physiques ou qui facture en devises fortes peut transformer cette contrainte en avantage. De même, un investisseur individuel peut tirer parti d’actifs qui profitent de la hausse générale des prix : énergie, matières premières, entreprises de services essentiels.
Ce renversement de perspective change tout. Au lieu de craindre l’inflation, nous pouvons la comprendre comme une donnée structurelle du jeu économique moderne. Ce n’est pas une catastrophe ; c’est une règle du système. Et comme toute règle, elle peut s’utiliser à notre avantage si nous savons la lire.
6. Storytelling et souveraineté financière
Michael Tomasello, chercheur en psychologie évolutive, explique que la narration est née pour aligner les comportements humains vers un objectif commun. L’histoire partagée crée la coopération. C’est exactement ce que fait le récit économique dominant : il nous unit autour d’une croyance commune dans la monnaie. Mais rien ne nous empêche de créer un contre-récit : celui de la responsabilité individuelle.
La liberté financière commence là : dans la capacité à écrire sa propre version de l’économie. Construire une entreprise, investir dans le réel, partager la valeur – c’est redonner du sens à l’argent. C’est refuser la passivité. C’est briser, comme l’héroïne du spot Apple, le marteau du conformisme monétaire.
7. Le dernier acte : réécrire la fin
L’inflation ne disparaîtra pas. Les États continueront à utiliser ce levier monétaire pour ajuster dettes, budgets et cycles. Mais l’investisseur informé, structuré et discipliné peut s’en protéger. Il peut même y trouver des opportunités.
Tout commence par une compréhension simple : la valeur n’est jamais donnée, elle se raconte. Comme pour l’objet insignifiant revendu 30 fois plus cher, la valeur naît du sens. Dans nos décisions d’investissement, la clarté du récit vaut autant que le rendement. Une stratégie cohérente, lisible et alignée avec ses valeurs personnelles vaut plus, sur le long terme, qu’un coupon élevé sur un actif incompris.
L’inflation est l’ennemi de l’investisseur individuel ? Oui, si l’on reste spectateur. Non, si l’on devient auteur. Tout artisan de son avenir apprend à raconter sa propre version de l’économie. Et quand vous prenez cette plume économique en main, vous découvrez qu’il est encore possible d’écrire une histoire de croissance, même dans un monde où la monnaie perd sa voix.
Conclusion : L’État crée l’inflation, mais vous créez votre stratégie. C’est ce décalage, comme entre le Lisa et le Macintosh, qui fait toute la différence entre subir et exister. Le pouvoir n’est pas dans la monnaie. Il est dans le récit que nous en faisons.
