Japon : +20% d’inflation, le prix d’une cure monétaire

Un plein d’essence, un panier de riz, un salaire mensuel : tout s’envole en 1973 au Japon. Les ménages découvrent que leurs billets de yen ne valent plus autant qu’avant. L’inflation devient un sujet de conversation dans chaque foyer. Derrière cette flambée, une mécanique précise s’est mise en marche deux ans plus tôt. Une histoire utile à comprendre pour saisir la logique économique des périodes d’expansion… et leurs lendemains difficiles.

De la relance à la surchauffe

En 1971, le gouvernement japonais cherche à soutenir la croissance. L’économie sort du cadre fixe de Bretton Woods — la parité entre le yen et le dollar s’effondre. Pour stimuler l’activité, la Banque du Japon augmente la création monétaire. En clair, elle fait circuler plus d’argent afin d’encourager la consommation et l’investissement.

Au début, tout semble fonctionner : la production industrielle grimpe, les entreprises embauchent, les ménages consomment. Les prix, eux, restent stables. Cette stabilité donne l’illusion que le pays contrôle parfaitement son expansion. C’est la phase euphorique.

Mais l’économie, comme un organisme vivant, réagit avec retard. L’argent injecté finit par exercer une pression sur la demande. Les entreprises augmentent leurs prix. Les salaires suivent. L’effet boule de neige commence. Fin 1972, les premières hausses notables apparaissent sur les produits de base.

1973 : le choc de l’inflation

Puis la situation s’emballe. En 1973, les prix à la consommation grimpent de plus de 20 % (Source : Banque du Japon). C’est une inflation historique pour un pays habitué à la stabilité. L’énergie, l’alimentation, les loyers, tout devient plus cher. Le choc pétrolier accentue encore cette pression. Pour les ménagères japonaises, la réalité est brutale : les billets gagnés hier valent beaucoup moins demain.

Le gouvernement réagit. Il change de cap. Il restreint la croissance monétaire. La Banque du Japon resserre ses conditions de crédit. Le message est clair : il faut stopper la spirale.

Un traitement sans effet immédiat

Comme dans tout processus économique, les effets de cette cure ne sont pas instantanés. L’inflation continue de grimper quelques mois. Les entreprises subissent une forte contraction des commandes. Le chômage monte. C’est la phase la plus douloureuse : celle où la médecine fait plus mal que la maladie.

Ce décalage temporel est l’un des principaux enseignements de cette période. Les politiques économiques n’agissent pas en temps réel. Lorsque la monnaie a déjà gonflé et que les prix s’emballent, il faut du temps pour freiner la machine. Cette inertie découle des comportements : contrats déjà signés, habitudes de consommation, attentes salariales. Tout cela ne se corrige pas du jour au lendemain.

Inflation et alcool : une métaphore éclairante

Certains économistes ont comparé l’inflation à l’alcoolisme. L’image fait sourire mais fonctionne bien. Dans les deux cas, les premières doses apportent une satisfaction immédiate. Boire un verre procure une sensation agréable. Imprimer de la monnaie stimule l’économie, soutient la demande, crée l’illusion d’une prospérité durable.

Mais quand la consommation se répète, les effets néfastes apparaissent : gueule de bois pour l’un, hausse des prix pour l’autre. Et que se passe-t-il quand on décide d’arrêter ? Le sevrage. Douleur, tremblements… ou récession et chômage. Dans les deux cas, la cure demande du courage et du temps.

Cette métaphore, souvent utilisée par des économistes japonais de l’époque, met en lumière un dilemme classique : les avantages politiques de la relance sont immédiats, les coûts du resserrement sont différés. D’où la tentation permanente de repousser la discipline.

La rigueur qui restaure la confiance

Malgré la douleur économique, le Japon choisit la rigueur. La Banque du Japon maintient une ligne stricte : réduction durable de la masse monétaire, contrôle du crédit, discipline budgétaire. Les années suivantes sont difficiles, mais la méthode finit par produire ses effets. Vers 1976, l’inflation revient à un niveau inférieur à 10 %, puis retrouve un taux proche de 5 % en 1978 (Source : Statistiques officielles, BoJ).

Cette politique donne une leçon durable : la crédibilité monétaire se construit dans la constance. Une fois la confiance perdue, elle ne se regagne qu’au prix d’un effort long et cohérent. C’est ce qu’ont vécu les autorités japonaises. Elles ont maintenu leur cap malgré la pression politique et sociale, convaincues qu’aucune économie ne prospère durablement sur de la monnaie trop abondante.

Ce que nous pouvons en tirer aujourd’hui

Pourquoi cette histoire nous parle encore ? Parce que les mêmes logiques se rejouent. Les politiques monétaires expansionnistes ne sont pas une relique des années 1970. Elles reviennent à chaque crise, sous d’autres formes : quantitative easing, taux directeurs bas, rachats d’actifs. Chaque fois, le dilemme demeure : stimuler sans surchauffer.

Trois enseignements se dégagent de l’expérience japonaise :

  • 1. L’effet retard : la monnaie agit lentement sur les prix. Il faut anticiper ce délai avant de changer de cap.
  • 2. La crédibilité : la discipline dans la durée vaut mieux qu’un virage brutal. La confiance économique dépend de cette cohérence.
  • 3. Le coût de la stabilité : freiner l’inflation entraîne tôt ou tard des sacrifices à court terme. Mais c’est le prix à payer pour éviter la perte de contrôle.

Ces leçons intéressent tout responsable économique, qu’il soit à Tokyo, Washington ou Paris. Le risque de « trop en faire » existe toujours. La facilité politique pousse à soutenir, subventionner, relancer. Le difficile est de savoir quand arrêter, et surtout, d’avoir la patience d’attendre les résultats d’une politique restrictive.

Une histoire d’équilibre et de mémoire

Regarder le Japon du début des années 1970, c’est comprendre ce que signifie maîtriser une monnaie. Ce n’est pas un acte technique, c’est une discipline collective. Gouvernants, entreprises, citoyens, tous jouent un rôle. La période 1971-1976 illustre ce cheminement douloureux mais nécessaire : expansion, emballement, rigueur, stabilisation.

Raconter cette séquence, c’est rappeler qu’aucune croissance durable ne s’appuie sur l’illusion monétaire. Les chiffres changent, les contextes évoluent, mais la psychologie collective reste la même. Nous aimons les gains rapides. Nous redoutons les efforts longs. Pourtant, dans l’économie comme dans la vie, la stabilité se construit rarement dans l’euphorie.

Et quand le calme revient, cinq ans plus tard, les Japonais ont compris quelque chose de fondamental : un yen fort, c’est d’abord une volonté forte.

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