Le Conseil d’Analyse Économique (CAE) met en lumière une réalité budgétaire longtemps passée sous silence : le financement des retraites du secteur public pèse bien plus sur nos comptes que ce qu’affiche le budget officiel. Selon ses estimations, ce déficit « caché » expliquerait près d’un tiers de l’accroissement de la dette publique en dix ans. Une donnée qui bouleverse notre lecture des priorités nationales.
Un mécanisme comptable trompeur
Dans le secteur privé, les cotisations retraite alimentent des caisses distinctes. Pour l’État, elles ne sont qu’un jeu d’écritures internes : un ministère verse à un autre. Officiellement, ces cotisations employeur sont fixées à un niveau élevé, bien supérieur à ce qu’impliquerait une retraite équilibrée. Le CAE chiffre cette surévaluation à 29 milliards d’euros par an (Source : CAE, rapport sur les retraites publiques).
Concrètement, cela signifie que ces 29 milliards ne financent pas des pensions supplémentaires, mais sont inscrits comme charges fictives dans les budgets ministériels. C’est une illusion comptable qui alimente le budget global tout en limitant les marges pour d’autres politiques publiques.
Un tiers de la dette en dix ans
En cumulant cette surévaluation sur dix ans, le déficit « invisible » atteint près de 290 milliards d’euros. C’est environ un tiers de l’accroissement de la dette publique sur la période. En d’autres termes, sans ce gonflement artificiel, la trajectoire budgétaire de la France serait sensiblement différente. Cette distorsion brouille notre perception de la santé financière nationale et fausse les comparaisons internationales.
Des effets sur les priorités nationales
Ces écritures gonflées faussent aussi l’arbitrage entre grands domaines stratégiques. Nous pensons dépenser massivement pour nos retraités, mais dans les faits nous sous-investissons ailleurs :
- Éducation : 4,6 % du PIB contre 4,7 % en moyenne européenne. Un écart minime en apparence, mais qui représente plusieurs milliards d’euros manquants pour nos écoles et universités.
- Sécurité intérieure : dépenses inférieures à la moyenne européenne, malgré des besoins croissants en effectifs et en équipements.
- Défense : une dépense réelle autour de 1,6 % du PIB si l’on neutralise la surestimation des retraites, loin de l’objectif affiché de 3 %.
En clair, la France investit moins qu’elle ne le pense dans ses fonctions régaliennes, parce qu’une part importante de ses budgets est absorbée par cette mécanique comptable interne.
Vers une transparence nécessaire
Le CAE plaide pour une réforme comptable clarifiant la réalité des flux financiers liés aux retraites publiques. Corriger cette surévaluation ne reviendrait pas à « couper dans les pensions », mais à afficher de façon sincère les coûts réels du système.
Ce geste de transparence permettrait de mieux hiérarchiser nos politiques : augmenter le nombre d’enseignants, moderniser nos forces de sécurité, ou renforcer nos capacités militaires — tous ces choix nécessitent des données budgétaires sincères et comparables à celles de nos voisins européens.
Redonner du sens à la dépense publique
Ce débat dépasse la technique comptable. Il touche à la façon dont nous concevons la dépense publique et nos priorités collectives. En corrigeant ces artifices, nous rétablirions une image plus fidèle de nos finances et redonnerions à l’État les moyens d’investir dans l’avenir.
En résumé : 29 milliards d’euros par an de charges fictives, c’est bien plus qu’un simple détail comptable. C’est un choix politique implicite, qui pèse sur notre capacité à bâtir l’avenir. Le moment est venu de remettre de la vérité dans nos chiffres, pour remettre du sens dans notre dette.
