Jeunes diplômés : 1 sur 3 se sent déclassé, pourquoi ?

Un bac, un master, un espoir d’ascension. Puis vient le premier emploi, et la réalité tombe : le poste ne correspond pas aux attentes. Café à la main, ordinateur ouvert, beaucoup de jeunes diplômés français ont ce même sentiment : ils se sentent déclassés.

Selon une note récente de l’Insee (2024), près d’un tiers des jeunes diplômés français jugent que leurs études ne sont pas valorisées à leur juste niveau. Autrement dit, entre la salle de cours et le bureau, il se perd quelque chose. Essayons de comprendre pourquoi.

Un chiffre qui interpelle

Sur les 7,6 millions de jeunes actifs âgés de 15 à 34 ans ayant fini leurs études, 15 % estiment que leurs compétences dépassent les exigences de leur poste. 18 % se disent même « surdiplômés » (Source : Insee).

Autrement dit, environ un jeune sur trois a le sentiment d’occuper un poste sous son niveau. En miroir, 83 % jugent leurs compétences adaptées à leurs tâches, mais le malaise d’une minorité importante persiste.

Le déclassement, une réalité inégale selon les métiers

Le sentiment de déclassement ne touche pas tout le monde de la même manière. Il s’exprime fortement dans les emplois peu qualifiés :

  • 26 % des employés peu qualifiés se sentent surcompétents.
  • 22 % des ouvriers peu qualifiés partagent cette impression.
  • Parmi les jeunes titulaires du baccalauréat occupant ces postes, 31 % s’estiment déclassés.

Ces chiffres illustrent un sentiment profond : avoir travaillé dur pour un diplôme qui n’ouvre pas les bonnes portes. Ce n’est pas qu’une déception individuelle. C’est un signal collectif sur le lien entre études, formation et emploi.

Massification scolaire, même diplôme, autre réalité

Pour comprendre le phénomène, regardons l’histoire récente de l’éducation française. Depuis les années 1980, l’enseignement supérieur s’est massifié. Plus d’étudiants, plus de diplômes, plus d’espoir. Mais la valeur d’un diplôme dépend aussi de sa rareté.

Le baccalauréat, jadis symbole d’ascension, est devenu la norme. Il ne garantit plus le même niveau de compétence ni la même reconnaissance. Comme le note l’Insee, la dévalorisation du baccalauréat reflète une érosion du niveau général de formation. Les enquêtes internationales Pisa et Timss confirment cette tendance : les acquis scolaires des élèves français s’affaiblissent (Sources : OCDE, Pisa, Timss).

Résultat : un diplôme identique sur le papier n’a plus la même force sur le marché du travail. Le niveau monte sur le papier, mais pas toujours dans les faits. Ce fossé alimente la déception d’une génération persuadée d’avoir franchi un palier social, mais qui découvre un marché du travail saturé.

Le poids de l’orientation : généraliste ou professionnalisante ?

Ici, l’enjeu se joue dès les choix d’études. Les filières généralistes, comme sociologie, psychologie ou certaines sciences humaines, peinent à offrir des débouchés directs. Les étudiants s’y investissent souvent par passion. Mais à la sortie, les emplois ne suivent pas toujours la même trajectoire.

À l’inverse, les filières courtes et professionnalisantes — BTS, BUT, écoles spécialisées — affichent une meilleure insertion professionnelle. Une formation en maintenance industrielle, par exemple, ouvre sur des métiers recherchés. Un diplômé en data ou cybersécurité n’attend pas six mois avant sa première offre. Ce sont les parcours les plus proches des besoins économiques qui tirent leurs épingles du jeu.

Ce décalage alimente le sentiment d’être « mal placé ». Beaucoup de diplômés de filières généralistes doivent accepter des emplois sans lien direct avec leurs études, souvent moins valorisés socialement.

Un regard vers la Suisse : la valeur de la voie professionnelle

Si l’on traverse la frontière, un autre modèle inspire la réflexion. En Suisse, 90 % des jeunes décrochent un diplôme de fin de secondaire. Mais moins de 40 % accèdent à l’université. La majorité choisit une voie professionnelle, valorisée socialement et économiquement. L’apprentissage n’est pas perçu comme un plan B. C’est une voie d’excellence.

Résultat : l’industrie représente environ 25 % du PIB suisse, contre 15 % en France. Ce choix structurel soutient la compétitivité et réduit la frustration liée au déclassement. L’adéquation entre formation et emploi y est mieux assurée, car les parcours sont construits en lien étroit avec les entreprises.

Les causes s’entrecroisent

Le déclassement n’a pas une seule cause. Il est le produit d’un enchevêtrement de facteurs :

  • Massification du système scolaire.
  • Perte de valeur symbolique du baccalauréat.
  • Orientation insuffisamment connectée au marché du travail.
  • Faible reconnaissance des filières techniques et professionnelles.

Le paradoxe est frappant : la France forme davantage, mais ne valorise pas mieux. Elle produit plus de diplômés, mais offre proportionnellement moins d’emplois qualifiés correspondant à ces niveaux.

Quand les attentes dépassent la réalité

Ce sentiment de déclassement tient aussi à la perception des jeunes eux-mêmes. Le « diplôme » reste associé à l’idée de réussite. Or, le marché évolue vite. Les compétences attendues se déplacent. Les métiers du numérique, de la transition écologique, de la santé recrutent. Mais les systèmes de formation n’ajustent pas toujours leur offre assez rapidement.

Un autre facteur intervient : les représentations sociales. En France, on valorise beaucoup les études longues. Une filière professionnelle reste souvent perçue comme une option secondaire. Ce biais culturel nourrit la déception collective : quand tout le monde vise le haut, les attentes montent plus vite que la réalité économique.

Et maintenant ? Rétablir le lien entre diplôme et emploi

La bonne nouvelle, c’est que rien n’est figé. Des solutions existent. Plusieurs pistes méritent notre attention :

  • Renforcer la qualité pédagogique dès le secondaire pour restaurer la confiance dans les diplômes.
  • Développer les filières professionnelles et mixtes, à la croisée de la pratique et de la théorie.
  • Mieux informer les lycéens sur les débouchés réels des formations.
  • Encourager les universités à travailler avec les entreprises locales pour ajuster leurs programmes.

Cette cohérence entre diplômes, compétences et emplois ne se décrète pas. Elle se construit. Et elle est essentielle si nous voulons que chaque jeune voie dans son diplôme autre chose qu’un papier : une promesse tenue.

Conclusion : le diplôme, promesse à réinventer

Près d’un jeune diplômé sur trois se sent déclassé (Insee, 2024). Ce n’est pas un simple chiffre. C’est un symptôme. Celui d’un modèle éducatif qui a longtemps misé sur la quantité plutôt que sur la cohérence.

Mais la solution n’est pas de former moins. C’est de former mieux, ensemble : État, école, entreprise, étudiants. Redonner du sens à chaque parcours. Valoriser tous les talents, qu’ils soient manuels, techniques ou académiques.

Le déclassement n’est pas une fatalité. C’est un signal d’alarme utile, à condition de l’écouter. À nous, collectivement, de renouer le fil cassé entre diplôme et réussite. Car quand l’éducation tient ses promesses, c’est toute la société qui avance.

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