Quel sera le positionnement de la Tunisie libérée dans le Maghreb, et plus largement dans le monde arabe?
L’ère de l’avant révolution, une diplomatie bien timide
Au cours de la présidence de leader Bourguiba, la Tunisie a acquis une position prépondérante dans la diplomatie arabe. Quoi que soit que l’on puisse penser de l’homme, et en dépit des nombreuses dérives de son régime, Bourguiba a su mener une politique étrangère éclairée, portant ainsi la voix raisonnée de la Tunisie à l’occasion des grands débats diplomatiques qui ont animé le monde arabe, notamment en ce qui concerne les perspectives de résolution du conflit israélo-palestinien. De plus, l’esprit pacifique bourguibienne combiné à une politique de développement relativement efficace, des avancés en matière d’éducation et de droits de la femme, ont permis à cette Tunisie qui s’est distinguée, de bénéficier d’une certaine crédibilité au sein du monde arabe , en dépit des nombreuses atteintes aux droits de l’Homme. Avec l’ancien régime, c’est une Tunisie effacée, timoré et au visage terne, sinon morbide, qui a timidement arpenté les couloirs des chancelleries étrangères, sans le moindre éclat, hormis quelques éclaboussures sanguinolentes, témoins de la répression que subissaient encore journalistes, hommes de loi et militants des droits de l’Homme. En effet, arc-boutée sur les acquis de l’indépendance que la Tunisie de Ben Ali n’a pas l’audace de surpasser, la diplomatie tunisienne avait peu de chose à « vendre » au monde, si ce n’est l’attrait d’une économie plus au moins stable et des plages bradées au renfort des campagnes publicitaires qui n’ont pas su évoluer au fil des années.
La bouffée d’air de la révolution
Avec la révolution du 14 janvier 2011, c’est une nouvelle issue qui s’ouvre à la Tunisie. L’ancienne sombre page est tournée. Cette Tunisie « révolutionnaire » a l’opportunité de redéfinir sa diplomatie ainsi que la place qu’elle entend conquérir sur la scène diplomatique arabe. Bourguiba l’avait bien compris, ce ne sont ni nos maigres ressources financières ni faible population (qui n’a pas dépassé la barre de 11 millions d’habitants), qui nous permettrons d’accéder au rang de leader régional. Pour accéder à une position de leadership, la seule voie est celle d’une diplomatie intelligente, combinée à une économie performante et une culture dynamique. Jusqu’au départ de Ben Ali, la petite Tunisie timide et isolée avait perdu toute légitimité afin de prétendre à restaurer son prestige et son influence diplomatique. Avec cette révolution populaire qui s’est diffusée au-delà de nos frontières, nous avons construit l’embryon de notre légitimité international. Et c’est en continuant de tracer la voie que nous avons esquissée que nous pourrons acquérir un rôle majeur sur la scène diplomatique régional et internationale.
La Tunisie nouvelle, un vrai acteur de l’intégration ?
Dans le cadre de ce dossier nous envisagerons différentes pistes dans le dessein de parvenir à ce leadership et d’en faire un usage salutaire pour nous-mêmes et pour nos voisins.
Le processus de cette intégration régionale a connu quelques balbutiements avec la construction maghrébine qui n’a pas porté ses fruits, dans le cadre d’une Union du Maghreb Arabe (UMA). En effet, l’UMA était continuellement convalescente, victime de divers blocages et de la mauvaise volonté des différents régimes en place, la dictature ne favorisant ni l’intégration ni les abondons de la souveraineté que cette dernière nécessite. Or, même si la révolution tunisienne ne s’est pas exporté telle quelle chez nos voisins, elle a tout de même eu un impact majeur tendant vers la démocratisation de nombreuses Etats arabes. Ce printemps arabe dont les mots d’ordre proviennent de la rue tunisienne change la donne en matière d’intégration. En effet, des peuples libérés et en possession de leur souveraineté ont plus d’avantages et de facilité à coopérer entre eux sur la voie de la prospérité que des autocrates jalousement assis sur leur pouvoir national.
En attendant que le processus de la transition démocratique s’approfondisse dans les pays arabes, ils pourront tendre vers une union économique et politique à l’instar de la construction Européenne, tout en tirant des leçons des échecs européens, reproduisant uniquement les prouesses de ce laboratoire à ciel ouvert qui nous fait face, de l’autre rive de la Méditerranée. En effet, ce n’est ni le panarabisme classique, frappé d’obsolescence, ni un nationalisme arabo-islamique qui nous permettront de nous unir, car ces idéologies d’un autre âge ne reflète pas la réalité de ce que nous sommes et font abstraction de la diversité et des sensibilités nationales au sein de la communauté des Etats arabes. C’est dans une intégration fondée sur l’échange, la coopération, la raison et le droit que nous pourrons à la fois mettre en commun nos ressources, nous unir pour prospérer, tout en formant une communauté soudée mais respectueuse des souverainetés nationale et de l’identité culturelles spécifiques à chaque population. Nous proposons un nouveau projet de panarabisme rationnel et moderne, purgé de tout mysticisme et centré sur la recherche efficiente de la prospérité et sur les vraies valeurs communes plutôt qu’une caricature d’identité.
Dans cette entreprise de construction régionale, l’impulsion pourrait venir de la Tunisie, qui ferait de l’intégration l’un des grands axes de sa politique étrangère. Déjà riche de sa position de pionnier de la marche vers la démocratie arabe. La Tunisie tirerait des avantages de l’intégration qu’elle proposerait à ses voisins. D’une part, il ya l’attrait formidable que représente la possibilité de redessiner l’espace régional dans lequel nous nous insérons.
Premier exportateur de la révolution, ou devrions-nous dire de la liberté, la Tunisie pourrait institutionnaliser la « révolution » sur le plan régional. Il ne s’agirait pas tant d’exporter et encore moins d’imposer notre modèle ou notre révolution en tant que tels, mais d’inviter les peuples voisins à définir avec nous un socle commun à partir duquel chacun de nous moderniserait son modèle national. Le vecteur de cette construction serait la création d’une entité supranationale et interétatique sur le modèle de l’Union Européenne, ayant une vocation fonctionnelle. Cette institution pourrait être fondée par la Tunisie, avec un ou deux autres partenaires qui ont entamé leur transition vers la démocratie et l’Etat de droit. L’objectif pour la Tunisie et ses partenaires initiaux consisterait à créer une dynamique à partir de cette entité commune qui dessinera un ordre juridique supranational (réglementations communes, institutions communes…). En offrant un cadre démocratiques des Etats qui auront choisi d’entamer leur transition, l’accès à cette à cette union des démocraties arabes pourrait constituer un objectif attrayant por les peuples de la région. En effet, l’existence d’une organisation régionale dotée d’un cadre institutionnel attractive pour les Etats de la région qui seraient incités à opérer à leur tour leur transition démocratique dans le but de prendre part eux aussi à cette construction et de bénéficier des avantages politiques, technique et économique de l’intégration. Cette démocratisation par l’incitation a fait ses preuves lorsque les Etats d’Europe centrale ont modernisé leur législation en matière des droits de l’Homme et de libertés fondamentales afin d’intégrer l’Union Européenne.
Cette union des démocraties arabes prendrait la forme d’une coopération renforcée par l’institution d’un ordre juridique supranational: des institutions communes pour applique des traités auxquels ont adhéré des Etats souverains et indépendants. Quant à l’identité de ces Etats, il n’est pas intéressant de se limiter aux Etats du Maghreb Arabe. Nous avons pu constater l’échec de l’UMA. C’est pourquoi il faut user de pragmatisme et construire les premiers partenariats avec tout pays arabe qui a entamé une transition démocratique et qui a la volonté de mettre en œuvre l’intégration proposée, afin de ne pas mettre en péril ce projet du fait des blocages que certains pays pourraient exercer. Il ne faut pas avoir peur de commencer à petite échelle avec un niveau de coopération renforcé entre un petit nombre de pays pour ensuite préparer l’extension de l’union celle-ci aura déjà commencé à porter des fruits pour les membres fondateurs.
Note de la rédaction: Ce dossier s’étale sur trois volets. Le troisième et dernier article sera publié le lundi 28 Janvier 2013.
Partie 1: La Tunisie post-révolutionnaire face aux enjeux régionaux: le positionnement de la Tunisie libérée dans le Maghreb
Partie 2: La Tunisie post-révolutionnaire face aux enjeux régionaux: La libre-circulation des marchandises et services, des capitaux et des personnes.