Un marché qui bouge, voilà ce qui fait avancer l’économie. Les données sur 159 secteurs industriels américains (1988–2022) le confirment : plus un secteur voit d’entreprises disparaître, plus sa productivité grimpe (Source : étude sectorielle américaine inspirée des travaux de Philippe Aghion et Peter Howitt). Ce phénomène n’est pas une tragédie économique. C’est la santé même du système productif.
Quand la sortie devient un moteur
Prenons un exemple concret : un fabricant de disquettes ferme. Mauvaise nouvelle ? Pas vraiment. Car le capital, les ingénieurs et le savoir-faire qu’il libère se réinvestissent dans des entreprises de stockage en cloud. Le résultat : plus de valeur, plus de productivité. C’est exactement le mécanisme observé dans l’étude : les secteurs où la proportion d’entreprises quittant le marché est élevée connaissent les plus forts gains de productivité du travail.
L’idée est simple mais puissante : quand les moins performants partent, ils libèrent l’espace pour les plus innovants. Les ressources se réallouent vers les usages les plus efficaces. C’est le cœur de la théorie schumpétérienne de la « destruction créatrice ».
Les données ne mentent pas
Entre 1988 et 2022, les secteurs américains les plus dynamiques – ceux où le taux de sortie d’entreprises dépasse la moyenne – enregistrent systématiquement une croissance de productivité supérieure. Autrement dit, la vitalité se mesure à la rotation.
Le deuxième graphique présenté dans l’étude prolonge ce constat côté emploi. Les secteurs où les postes se renouvellent davantage – où créations et destructions s’enchaînent – affichent une productivité en hausse. Le mouvement crée de la valeur. Ce qu’un dirigeant interprète comme instabilité, un économiste y voit la preuve d’un marché vivant.
Des politiques publiques à bonne température
Beaucoup d’économies cherchent la stabilité, parfois au prix du dynamisme. Subventions permanentes, réglementations protectrices ou aides à répétition créent des « entreprises zombies ». Ces structures survivent sans innover, consomment des ressources rares et bloquent la diffusion du progrès.
Inversement, un environnement économique qui accepte la faillite, favorise la mobilité du travail et simplifie la reconversion du capital permet aux innovations de se propager plus vite. C’est la condition d’une croissance efficace à long terme.
« Une économie en mouvement ne s’effondre pas, elle s’adapte » – un principe trop souvent oublié dans les débats politiques.
Les transitions technologiques accélèrent le tri
Chaque révolution technologique — numérique, automatisation, transition verte — exerce une pression énorme sur les modèles anciens. Certaines entreprises disparaissent, d’autres prennent leur place. Le cycle paraît brutal, mais sans lui, pas de diffusion du progrès.
Les données américaines illustrent cette dynamique : au sein des secteurs les plus exposés à l’innovation, un taux de sortie supérieur à la moyenne précède presque toujours une hausse de productivité du travail. L’économie se régénère par cette rotation.
On l’a vu durant le boom digital : les start-up ont remplacé une foule d’acteurs industriels figés. Aujourd’hui, ce sont les énergies vertes et l’intelligence artificielle qui redessinent les chaînes de valeur. Accepter cette recomposition devient une condition de prospérité durable.
Ce que cela change pour nous
Si vous dirigez une entreprise, cela appelle deux réflexes : observer les signaux faibles de votre secteur et réaffecter vite les ressources. Les marchés récompensent l’agilité. Les entreprises qui savent dès maintenant se réinventer sur des chaînes plus sobres, plus digitales, plus flexibles, seront les moteurs de la prochaine décennie.
Pour les pouvoirs publics, la leçon est limpide : mieux vaut accompagner les transitions que subventionner les retards. Cela passe par :
- un droit du travail qui facilite la formation et la mobilité,
- une fiscalité qui oriente le capital vers les activités innovantes,
- une réglementation qui favorise la concurrence et la sortie sans drame,
- et un système éducatif qui prépare les compétences de demain.
Un indicateur de vitalité économique
L’étude rappelle un point fondamental : la productivité agrégée dépend de notre capacité à réallouer. La disparition d’une entreprise n’est pas une perte nette, mais une redistribution de ressources.
Le dynamisme entrepreneurial se mesure donc moins au nombre d’entreprises existantes qu’à leur capacité de mutation. Un secteur stable n’est pas forcément un secteur sain. Une économie tranquille n’est pas toujours une économie efficace.
Le vrai indicateur, c’est le mouvement. Le flux d’entrées et de sorties, la rotation des emplois, la vitesse d’adaptation aux nouvelles technologies.
Le rôle de la culture économique
Accepter la destruction créatrice demande un effort culturel. Nous associons souvent disparition et échec. Or, dans une économie innovante, la faillite n’est pas un stigmate : c’est un passage. Les États-Unis l’ont compris depuis longtemps grâce à un droit des faillites plus fluides. Cette approche réduit la peur de l’échec et encourage l’expérimentation.
En Europe, la transition vers cette mentalité reste plus lente. Trop de barrières freinent la sortie, trop de procédures figent la structure productive. Mais les marges de changement existent, notamment en simplifiant les dispositifs de restructuration et en favorisant la réutilisation rapide du capital humain.
Pourquoi l’innovation reste notre meilleur levier
L’innovation n’est pas un supplément d’âme, c’est la condition même de l’enrichissement collectif. En mêlant créativité, technologie et réallocation intelligente, elle redéfinit les modèles de croissance.
Un constat s’impose : sans renouvellement du tissu productif, la richesse se fige. Chaque fermeture d’usine ou transformation d’entreprise ne signe pas une fin, mais une redistribution. Derrière ce mouvement, des emplois renaissent ailleurs, souvent plus qualifiés et mieux rémunérés.
Les chiffres américains sont clairs : les économies les plus fluides sont aussi les plus productives. Ce n’est pas une coïncidence, c’est un principe.
En conclusion
La croissance durable ne vient pas d’une stabilité figée, mais d’une capacité de transformation continue. Entre 1988 et 2022, les secteurs américains qui affichaient les plus forts taux de rotation d’entreprises et d’emplois ont généré les gains de productivité les plus marqués.
La destruction créatrice n’est pas un phénomène marginal, c’est l’énergie qui alimente notre économie. Chaque disparition prépare une naissance. Chaque fermeture ouvre un espace d’innovation.
Alors, la prochaine fois qu’un marché se réinvente, voyons-y non pas la fin d’un monde, mais l’origine du suivant. Parce qu’au fond, l’innovation, c’est la plus belle manière de se renouveler sans cesse.
