Allocution du Commissaire de l’UA à la Paix et à la Sécurité lors de la réunion du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la situation en République Centrafricaine

NEW YORK, 21 février 2014/African Press Organization (APO)/ — Allocution de l’Ambassadeur Smail Chergui, Commissaire de l’UA à la Paix et à la Sécurité lors de la réunion du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la situation en République Centrafricaine

Madame la Présidente du Conseil de sécurité des Nations unies,

Monsieur le Secrétaire général des Nations unies,

Distingués représentants des pays membres du Conseil de sécurité,

Mesdames et Messieurs,

Nous voilà réunis pour débattre d’une situation grave qui fait l’objet d’une attention internationale croissante. Nous espérons ardemment que la présente session fera date, en ce qu’elle marquera une étape nouvelle et déterminante dans la mobilisation internationale en faveur de la République centrafricaine.

Je remercie le Conseil de sécurité des Nations unies pour le suivi permanent réservé à cette question. Je voudrais tout particulièrement exprimer la gratitude de l’Union africaine à la Présidente du Conseil pour avoir eu l’obligeance et l’élégance de décaler la présente réunion pour permettre à notre délégation d’y participer. Permettez aussi que je réitère, au nom de la Présidente de la Commission de l’Union africaine, Dr. Nkosazana Dlamini-Zuma, l’appréciation de l’UA au Secrétaire général des Nations unies, Monsieur Ban Ki-moon, pour son engagement soutenu et son implication personnelle pour alléger les souffrances du peuple centrafricain.

Au cours des derniers jours, le Secrétaire général et la Présidente de la Commission de l’Union africaine ont régulièrement communiqué sur ce qu’il convient d’entreprendre pour contribuer au renforcement de l’action internationale en faveur de la République centrafricaine. Ces échanges sont une illustration supplémentaire de leur préoccupation commune face à cette tragédie, ainsi que de leur conviction qu’une réponse internationale efficace doit nécessairement reposer sur une vision partagée des mesures à prendre, dans le droit fil du partenariat étroit et novateur que l’UA et les Nations unies s’emploient à bâtir dans le domaine de la paix et de la sécurité.

Madame la Présidente du Conseil de sécurité,

Mesdames et Messieurs,

Comme vous le savez, la situation en République centrafricaine figure depuis plusieurs années au cœur des priorités de l’UA. Au moment de la reprise des hostilités dans ce pays, en décembre 2012, et parce que précisément nous craignions que la situation ne dégénérât en une violence généralisée aux conséquences catastrophiques pour la RCA et son peuple, nous avions appelé à une action internationale coordonnée en appui aux efforts méritoires des pays de la région sous la conduite des Présidents Idriss Déby Itno du Tchad et Denis Sassou Nguesso de la République du Congo. Je voudrais saisir cette occasion pour renouveler notre appréciation du volontarisme de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), de l’engagement personnel des dirigeants de la région et des sacrifices consentis dans la quête de la paix, de la sécurité et de la stabilité en RCA.

D’évidence, cet effort de prévention n’a pas abouti. Nous devons en tirer des enseignements pour nos actions futures de promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le continent, tant il est vrai que la communauté internationale ne peut continuer à attendre la survenance de situations désastreuses pour commencer à agir avec la célérité et la vigueur requises.

Aujourd’hui, nous devons faire face à une situation difficile et complexe. Celle-ci appelle, de notre part, diligence, efficacité et flexibilité. Notre action doit procéder d’une appréciation exhaustive des efforts actuels et des défis qui restent à surmonter. Elle doit viser à apporter les réponses les plus adaptées qui soient aux problèmes auxquels nous faisons face.

Depuis le 19 décembre 2013, la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) a pris la relève de la Mission de consolidation de la paix de la CEEAC en RCA. Cette relève s’est faite dans un contexte on ne peut plus difficile, marqué qu’il était par les attaques qu’a connues Bangui au début du mois de décembre 2013, les actes de violence extrême dont la population civile a été l’objet, des déplacements forcés qui ont affecté tant des communautés nationales qu’étrangères, ainsi que les haines et tensions communautaires et religieuses qui en ont résulté et qui sont si profondément préjudiciables au futur du pays et à sa cohésion sociale.

Au regard des défis qui se posaient sur le terrain, une des premières mesures prises par l’UA a été le renforcement des contingents présents sur place. Nous avons ainsi pu, dans le mois qui a suivi le transfert d’autorité, déployer, grâce à la sollicitude des Etats-Unis, deux bataillons supplémentaires de 850 personnels chacun. Hier même, à Kinshasa, une équipe de la Commission a finalisé les discussions avec le Gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) en vue de l’intégration effective du contingent de la RDC au sein de la Mission. Aussi, au moment où je m’adresse à vous, je peux confirmer que la Mission a quasiment atteint son effectif autorisé de 6 000 personnels en uniforme.

Grâce à ce renforcement et au soutien de l’opération française Sangaris, ainsi qu’à d’autres mesures, notamment la sectorisation de la ville de Bangui, la situation dans la capitale s’est considérablement améliorée. Le nombre des incidents sécuritaires s’est significativement réduit. Evidemment, beaucoup reste à faire pour assurer un retour total à la normalité. Des crimes, inacceptables, continuent d’être commis contre des civils innocents ; les actes de vandalisme et de pillage, qui s’expliquent aussi en partie par la misère sociale qui frappe les centrafricains, notamment la jeunesse, n’ont pas totalement disparu ; de nombreux déplacés, y compris ceux qui sont massés dans des conditions infrahumaines à l’aéroport, ne sont pas encore revenus à leurs domiciles ; et la peur demeure une réalité que l’on ne peut nier. La MISCA, avec le soutien de l’opération Sangaris, s’emploie à relever ces défis, tant par la mise en place de points de contrôle fixe que par la conduite de patrouilles de jour comme de nuit.

La Mission est sur le point de parachever son plan de déploiement à l’intérieur du pays. Au total, 4 000 militaires devraient être positionnés en différents endroits de l’arrière pays. Cette présence, couplée à celle de Sangaris, a permis d’éviter bien des atrocités, de rassurer des communautés et de faciliter l’action humanitaire. Encore une fois, nous devons faire beaucoup plus, agir plus vite et conférer plus d’efficacité à l’action qui est la nôtre. La MISCA est déterminée à relever ces défis.

Permettez-moi également de relever d’autres missions de la MISCA. Il y a évidemment la tâche de protection de dirigeants de la transition, essentielle pour qu’ils puissent, dans le contexte sécuritaire que nous connaissons, accomplir la lourde tâche dont ils ont la charge. Il y a aussi la facilitation de l’acheminement de l’aide humanitaire grâce à l’escorte et à la protection des convois qui empruntent le corridor vital qui relie la RCA au Cameroun. Je me dois d’ajouter que 500 camions et autres véhicules ont pu bénéficier de cette protection, qui contribue également à la reprise des flux commerciaux et à la collecte effective par l’État centrafricain des droits de douanes et taxes connexes à prélever sur les marchandises et autres biens destinés à la RCA, pour lui permettre de disposer des ressources si nécessaires à l’exercice de ses fonctions régaliennes.

Ces efforts ont été confortés par l’évolution encourageante du processus politique, dans le prolongement des décisions du Sommet extraordinaire de la CEEAC des 9 et 10 janvier 2014. L’élection d’un nouveau chef de l’État de la transition, en la personne de Mme Catherine Samba-Panza, la nomination subséquente d’un nouveau Premier ministre et la formation d’un Gouvernement ont permis de relancer la transition.

La principale menace sécuritaire à laquelle nous sommes présentement confronté est liée à l’action des milices dites anti-balaka. En réponse, la MISCA, avec l’appui de l’opération Sangaris, s’emploie à mettre en œuvre une série de mesures pratiques pour neutraliser ces milices. Ces efforts, qui ont commencé il y a quelques jours à Bangui, seront poursuivis et intensifiés, y compris à travers leur extension à l’ensemble du territoire centrafricain.

Nous aurons l’occasion, dans le cadre des rapports périodiques au Conseil de sécurité, de fournir des informations plus détaillées sur les efforts déployés et les difficultés rencontrées. Sur ce dernier point, je voudrais relever certains des défis qui entravent l’action de la MISCA. Ils ont trait à l’insuffisance des moyens logistiques et de communication, malgré le concours appréciable des partenaires internationaux dont je voudrais, à nouveau, saluer la contribution. Ils ont aussi trait aux limites des capacités actuelles du Gouvernement centrafricain. Ainsi, l’absence d’un système judiciaire rend extrêmement difficile l’entreprise de rétablissement de l’ordre, en ce que les éléments interpellés par les forces internationales ne peuvent tout simplement pas être soumis à la rigueur de la loi. Nous avons pour autant pu, avec le soutien du PNUD, établir un arrangement transitoire qui fonctionne actuellement.

Madame la Présidente,

Mesdames et Messieurs,

À l’occasion de cette réunion, le Secrétaire général a soumis des propositions sur ce qu’il estime devoir être entrepris au regard de la situation présente en RCA. Dans sa lettre du 17 février 2014, dont nous avons demandé transmission aux membres du Conseil de sécurité pour information et action en tant que de besoin, la Présidente de la Commission a identifié une série de mesures qui, mises en œuvre rapidement, nous permettront de renforcer significativement l’efficacité de l’action qui est la nôtre.

Je ne pourrais dans le cadre de ce discours énumérer ces mesures dans le détail. Qu’il me soit tout simplement permis d’en faire rapidement l’économie en soulignant d’emblée que ces mesures doivent être prises simultanément:

– L’impératif du renforcement de la MISCA : Il doit s’agir tant de renforcer les effectifs de la Mission, notamment en termes de personnels de police, que d’équipements. Comme nous avons eu l’occasion de le dire, des pays africains sont disposés à contribuer des personnels supplémentaires. Aussi, pour cette raison et pour d’autres, liées notamment au lancement de l’opération européenne, nous ne sommes pas favorables à la mise en place d’une quelconque ‘coalition de volontaires’, qui ne ferait que nous détourner de la tâche urgente et impérative du renforcement de la MISCA. En attendant, le déploiement de troupes supplémentaires, et en réponse aux préoccupations exprimées par le Secrétaire général s’agissant de la distribution de l’aide alimentaire à l’intérieur du pays, la MISCA est prête à escorter les convois humanitaires destinés aux localités concernées.

– La prise de mesures complémentaires pour consolider les gains déjà enregistrés et hâter la restauration durable de la sécurité à travers l’ensemble du territoire centrafricain : Je me réfère ici au paiement des salaires des agents de la fonction publique et des pensions des retraités, ainsi qu’à un appui à la reprise du fonctionnement des services publics de base, y compris la reconstitution d’un noyau de forces de sécurité, la remise en place du système judiciaire et des structures carcérales. Dans notre esprit, il ne s’agit pas de problèmes à moyen terme qui devraient être traités une fois que la sécurité sera restaurée, mais plutôt d’urgences pour lesquelles une action immédiate est requise. Ne nous y trompons pas, aucune force internationale quelque soit sa taille ne pourra assurer le degré de sécurité requis sans l’implication active de la partie centrafricaine. Le cout financier de ces mesures représente une fraction infime de ce qui devrait être mobilisé pour une nouvelle opération militaire.

– La consolidation des avancées enregistrées dans le processus politique, grâce à l’action décisive des dirigeants de la CEEAC : Il va sans dire qu’il ne saurait y avoir de gain sécuritaire durable sans volet politique viable. Les dirigeants de la région font preuve d’un volontarisme et d’un engagement exceptionnels. Nous nous devons de mieux soutenir leur action, notamment à travers le Groupe international de contact sur la RCA.

– La mise en œuvre rapide et effective des dispositions pertinentes des résolutions récemment adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies : Il s’agit ici d’assurer l’application de sanctions ciblées contre les individus et entités qui sapent les efforts actuels et d’accélérer du travail de la Commission internationale d’enquête sur les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire, tant il est vrai que ces mesures contribueront significativement à prévenir d’autres atrocités.

Je voudrais à ce stade souligner que la démarche que nous proposons est celle qui permettra de soutenir au mieux les efforts africains. Il s’agit d’une considération essentielle, car en définitive il n’y aura pas de solutions durables aux défis à la paix et à la sécurité que connait le continent sans appropriation africaine. Lorsqu’il existe une forte volonté politique africaine, et tel est indéniablement le cas s’agissant de la RCA, celle-ci doit être soutenue et confortée. Nos partenaires, quelque soit leur bonne volonté, ne pourront pas toujours pallier nos insuffisances.

La démarche proposée s’inscrit aussi dans le cadre d’une approche d’ensemble qui permet de combiner les avantages comparatifs respectifs de l’UA et des Nations unies. Dans la phase actuelle de stabilisation, une opération de soutien à la paix de l’UA est l’option la mieux indiquée. Son succès ouvrira la voie au déploiement d’une opération de maintien de la paix des Nations unies pour soutenir, dans le long terme, le processus de relèvement de la RCA. Nous voyons donc la MISCA comme une étape essentielle à une implication plus forte des Nations unies et, à dire vrai, de l’ensemble de la communauté internationale. Dans cette perspective, et en vue de léguer aux Nations unies une mission forte pour conduire la prochaine phase du processus de paix, il importe que votre Conseil envisage favorablement la mise en place d’un module de soutien logistique à la MISCA financé par les contributions mises à recouvrement. Nous remercions le Secrétaire général des Nations unies pour son engagement à œuvrer dans ce sens.

Madame la Présidente,

Mesdames et Messieurs,

Nous sommes à une étape cruciale de nos efforts visant à relever avec succès les défis qui se posent en RCA. La priorité est claire : protéger les populations civiles, faciliter l’acheminement de l’assistance humanitaire et créer les conditions d’une transition réussie.

Comme l’a si justement dit le Secrétaire général, les défis auxquels nous faisons face requièrent l’implication de tous. Ils dépassent nos capacités individuelles. L’effort doit être collectif pour qu’il y ait succès.

Aussi, est-il urgent de déterminer comment combiner au mieux les avantages respectifs de chacun des acteurs concernés, tout en faisant avancer notre objectif commun d’une plus grande responsabilisation de l’Afrique dans la gestion des problèmes auxquels le continent est confronté. Nous croyons sincèrement que les propositions faites par la Présidente de la Commission nous permettent de répondre de façon satisfaisante aux défis du moment.

Dans quelques années, lorsque nous jetterons un regard rétrospectif sur la République centrafricaine et la manière dont nous aurons géré la situation présente, nous devrons être en mesure de dire que nous avons répondu à l’appel au secours du peuple centrafricain, en même temps que nous avons fait avancer le partenariat international en faveur de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique. Il vous appartient de ne pas ajouter à la frustration de l’Afrique, seul continent à ne pas avoir de représentants permanents au sein de cette très importante institution du Conseil de Sécurité, en montrant aujourd’hui et pour toujours la nécessaire consultation préalable de l’Union Africaine sur l’examen de toute question relative à l’Afrique. D’ores et déjà, nos trois représentants non permanents sont prêts à remplir la mission, sinon de Pen Holder ou tout au moins celle de co-auteur sur les situations de conflits dans le continent.

Je ne saurais conclure sans exprimer notre profonde appréciation à tous partenaires internationaux qui soutiennent la MISCA. La Conférence d’appel de fonds qui a eu lieu à Addis Abéba à la fin du mois de janvier 2014 a été l’occasion d’un véritable élan de solidarité avec les Centrafricains et de soutien à la MISCA. Puisse cette réunion conforter cette dynamique et, partant, nous rapprocher encore davantage de la réalisation des nobles objectifs communs que nous poursuivons ensemble en République centrafricaine, ceux surtout d’une solution durable et du retour de l’espoir pour le peuple qui a tant souffert.

Je vous remercie.

Auteur de l’article : Agence-Presse

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