Sommet de l’UA / E-mail du futur de la Présidente de la Commission

ADDIS ABEBA, Ethiopie, 30 janvier 2014/African Press Organization (APO)/ — Lors de la retraite ministérielle du Conseil exécutif de l’Union africaine tenue du 24 au 26 janvier 2014 à Bahir Dar (Éthiopie), la Présidente de la Commission de l’UA, Dr Nkosazana Dlamini Zuma, a décrit sa vision de l’Afrique dans 50 ans, par le biais d’un « e-mail du futur ».

Adressé à un hypothétique Kwame en l’an 2063, l’e-mail intégral est joint ci-dessous :

Date : Le 24 janvier 2063

À : [email protected]

De : [email protected]

Objet : Unité africaine

Mon cher ami Kwame,

Mes salutations aux parents et amis, et mes meilleurs vœux de bonne santé pour 2063.

Je vous écris de la belle ville éthiopienne de Bahir Dar, aux environs du lac Tana, alors que nous finalisons les préparatifs des célébrations du Centenaire de l’Organisation de l’unité africaine devenue l’Union africaine en 2002, qui a jeté les bases de ce qui est maintenant notre Confédération des États de l’Afrique (CAS).

Oui, qui aurait pensé que le rêve de Kwame Nkrumah et de sa génération, lorsqu’en 1963 ils ont appelé les Africains à s’unir ou périr, deviendrait un jour une réalité ? Et quelle réalité grandiose !

Au début du XXIe siècle, nous nous irritions de ce que les étrangers considéraient l’Afrique comme un pays : comme si nous n’étions pas un continent de plus d’un milliard d’habitants et constitué de 55 États souverains ! Mais, l’évolution de la tendance mondiale en faveur des blocs régionaux nous a rappelé que l’intégration et l’unité sont le seul moyen pour l’Afrique de tirer parti de son avantage concurrentiel.

En fait, si l’Afrique était un pays en 2006, nous aurions été la 10e puissance économique du monde ! Cependant, au lieu de nous unir dans l’action, alors que nous possédions pratiquement toutes les ressources du monde (les terres, les océans, les minéraux, l’énergie) et avions une population de plus d’un milliard d’habitants, nous avons agi comme cinquante-cinq petits pays individuels fragmentés. Les plus grands pays qui auraient dû être les locomotives de l’intégration africaine n’ont pas joué leur rôle à ce moment-là, et c’est une des raisons qui explique tout le temps pris pour arriver où nous sommes aujourd’hui. Nous n’avons pas usé de notre puissance, mais nous nous sommes plutôt appuyés sur les bailleurs de fonds qui nous appellent par euphémisme partenaires.

C’était le cas en 2013. Maintenant, nous avons enfin pris conscience de la réalité et avons eu de longs débats sur la forme que nous voulions donner à notre unité : une Confédération, des États unis, une fédération ou un syndicat.

Comme vous pouvez le voir, mon ami, ces débats ont pris fin et la Confédération des États d’Afrique a été lancée en 2051, il y a douze ans.

Le plus intéressant était le rôle joué par des générations successives de jeunes africains. Déjà en 2013, lors des célébrations du Jubilé d’or, ce sont les jeunes qui ont exprimé leur impatience face à la lenteur des progrès sur la voie de l’intégration. Ils ont formé des Clubs de l’union africaine dans les écoles et les universités à travers le continent et ont créé des liens les uns avec les autres par le biais des médias sociaux. Nous avons donc assisté à un important mouvement en faveur de l’intégration, de la libre circulation des personnes, de l’harmonisation de l’éducation et des qualifications professionnelles. L’Université panafricaine et le secteur universitaire et l’intelligentsia jouent un rôle déterminant dans ce processus.

Nous étions un continent jeune au début du 21e siècle, mais avec l’explosion démographique de jeunes, les jeunes hommes et les jeunes femmes sont devenus encore plus actifs, créatifs, impatients et sûrs d’eux-mêmes, nous disant souvent à nous, plus âgés, qu’ils représentent l’avenir, et qu’ils (conjointement avec les femmes) forment la plus grande partie de l’électorat de tous nos pays !

Bien sûr, ce n’était là qu’un des moteurs de l’unité. La mise en œuvre accélérée du Traité d’Abuja et la création de la Communauté économique africaine en 2034 ont entrainé une progression spectaculaire de l’intégration économique.

L’intégration économique, associée au développement des infrastructures, a vu la multiplication des échanges intra-africains qui sont passés de moins de 12 % en 2013 à près de 50 % en 2045. Cette intégration a été davantage renforcée par la croissance des échanges de produits de base et la présence de géants commerciaux africains. Commençant par l’entreprise pharmaceutique africaine, les entreprises panafricaines dominent non seulement notre marché intérieur de plus de deux milliards de personnes à présent, mais elles ont dépassé les multinationales du reste du monde sur leurs propres marchés.

Le plus important de tous ces progrès, c’est la croissance des centres de fabrication régionaux pour la valorisation de nos ressources minérales et naturelles, comme dans l’est du Congo, au nord-est de l’Angola et dans la ceinture de cuivre de Zambie et les grandes vallées de silicium de Kigali, d’Alexandrie, de Brazzaville, de Maseru, de Lagos et de Mombasa, pour n’en citer que quelques-uns.

Mon ami, l’Afrique s’est en effet transformée, passant d’un exportateur de matières premières avec un secteur manufacturier en déclin en 2013, à un exportateur de produits alimentaires, une plateforme mondiale de production industrielle, un centre de connaissances, en valorisant nos ressources naturelles et nos produits agricoles comme moteurs de l’industrialisation.

Les Entreprises panafricaines, allant de l’extraction, des finances, des produits alimentaires et des boissons, de l’hôtellerie et du tourisme, des produits pharmaceutiques, de la mode, de la pêche et des TIC, stimulent l’intégration et font partie des leaders mondiaux dans leurs secteurs.

Nous sommes à présent la troisième puissance économique mondiale. Comme le soulignait la retraite des ministres des Affaires étrangères à Bahir Dar en janvier 2014, nous y sommes parvenus en trouvant l’équilibre entre les forces du marché, des États développementistes forts et responsables et des CER, pour donner une impulsion aux infrastructures, à la prestation de services sociaux, à l’industrialisation et à l’intégration économique.

Permettez-moi de rappeler ce que notre ami commun a récemment écrit : « la révolution agraire (africaine) a eu des débuts modestes. Des entrepreneurs connaissant la réussite (et les gouvernements locaux) ayant des racines dans les zones rurales ont lancé de vastes programmes d’irrigation afin d’exploiter les eaux des vastes systèmes hydrographiques du continent. Les projets panafricains de bassins fluviaux – sur le Congo, le Nil, le Niger, la Gambie, le Zambèze, le Kunene, le Limpopo et bien d’autres – financés par les PPP avec la participation de l’Afrique et des investisseurs BRIC, ainsi que de la diaspora africaine, ont libéré le potentiel agricole inexploité du continent. Grâce à l’application intelligente des connaissances indigènes séculaires acquises et conservées par les femmes africaines qui se sont, de tout temps, occupées des cultures, des récoltes exceptionnelles ont été signalées dès les premières années. Les agronomes ont consulté les femmes sur la qualité des différentes graines – celles qui ont survécu aux faibles chutes de pluie et celles qui ont bien poussé par temps pluvieux ; les types de maladies qui ravagent les cultures et comment les combattre sans nuire à l’équilibre des systèmes écologiques.

L’impact social de la révolution agraire a sans doute été le changement le plus durable qu’elle a suscité. Le statut des femmes, des travailleurs de la terre par tradition s’est amélioré de façon exponentielle. La fillette condamnée à passer sa vie dans la cuisine ou dans les champs dans un passé pas trop lointain, a maintenant, comme le garçon, la possibilité d’acquérir une éducation moderne (et de posséder une ferme ou une entreprise agroalimentaire). Aujourd’hui, les mères africaines ont accès aux tracteurs et aux systèmes d’irrigation pouvant être facilement assemblés.

Les coopératives de producteurs (agro-industries) et les offices de commercialisation créés par ces femmes ont permis d’accroitre leur production et sont devenus les géants alimentaires que nous voyons aujourd’hui.

Nous avons refusé de faire les frais des changements climatiques et avons activement fait la promotion de l’économie verte, faisant de l’économie bleue notre cheval de bataille. Nous avons éclairé l’Afrique, continent autrefois sombre, au moyen de l’énergie hydraulique, solaire, éolienne, géothermique, en plus des combustibles fossiles.

Parlant de l’économie bleue, la décision de former des compagnies maritimes à l’échelle continentale et d’encourager les sociétés minières à expédier leurs marchandises par des navires battant pavillon africain signifiait une importante poussée de croissance. Bien sûr, la décision prise à Dakar de créer un Commandement des forces navales africaines afin d’assurer la sécurité collective de nos longues côtes y a certainement également contribué.

Permettez-moi une fois de plus de citer notre ami commun : « Le système des bassins fluviaux africain, les lacs et les côtes abondent de poissons. Grâce au financement des différents États et de la diaspora, les jeunes entrepreneurs ont découvert que les embouchures de pratiquement toutes les rivières de la côte Est sont riches en espèces d’anguilles considérées comme une délicatesse à travers le continent et dans le monde.

Un marketing adroit a également créé un marché en croissance pour la perche du Nil, une espèce dont la prolifération incontrôlée eu, à un moment, menacé la survie d’autres espèces dans le lac Victoria et dans le Nil.

La Namibie et l’Angola exploitent aujourd’hui le courant de Benguela regorgeant d’espèces marines, à travers des projets communs financés par des fonds souverains et la Banque africaine de développement ».

Sur la côte Est, les anciens États insulaires des Seychelles, des Comores, de Madagascar et de Maurice sont chefs de file en matière d’économie bleue et leurs universités et instituts de recherche attirent les spécialistes des sciences de la mer et les étudiants du monde entier.

Cher ami, vous m’avez rappelé dans votre dernier e-mail qu’un magazine nous a une fois appelé « Le continent sans espoir », citant les conflits, la faim et la malnutrition, la maladie et la pauvreté comme si c’était un état permanent de l’Afrique. Peu de personnes croyaient en notre engagement pris dans la Déclaration du cinquantième anniversaire de faire taire les armes en 2020. En raison de notre expérience directe de la dévastation résultant des conflits, nous nous sommes attaqués aux causes profondes, notamment la diversité, l’inclusion et la gestion de nos ressources.

Si je ne devais relever qu’une seule question qui a fait de la paix une réalité, ce serait notre engagement à investir dans nos peuples, en particulier l’autonomisation des jeunes et des femmes. Nous avons dit en 2013 que l’Afrique avait besoin d’une révolution en matière de compétences et que nous devions changer nos systèmes éducatifs pour former des jeunes qui ont le sens de l’innovation et l’entreprise et possèdent de fortes valeurs panafricaines.

De l’éducation de la petite enfance, à l’enseignement secondaire, technique, professionnel et supérieur – nous avons connu une véritable renaissance, grâce aux investissements que nous avons faits, en tant que gouvernements et secteur privé, dans l’éducation et dans la technologie, la science, la recherche et l’innovation.

Associés à nos campagnes concertées pour éradiquer les principales maladies, fournir un accès aux services de santé, à une bonne alimentation, à l’énergie et au logement, nos peuples sont en effet devenus et restent notre ressource la plus importante. Pouvez-vous le croire mon ami, même le paludisme redoutable est de l’histoire ancienne.

Bien sûr, ce changement ne pouvait se faire sans l’appropriation par l’Afrique de sa transformation, notamment le financement de son développement. Comme l’ont déclaré les ministres des Affaires étrangères en 2014 : l’Afrique est riche, mais les Africains sont pauvres.

Avec une détermination politique et une solidarité communes, et faisant parfois un pas en arrière et deux pas en avant, nous avons fait du financement de notre développement et de l’appropriation de nos ressources une priorité, en commençant par le financement de l’Union africaine, de nos élections démocratiques et de nos missions de maintien de la paix.

Les festivités du Jubilé ont marqué le début d’un changement radical de paradigme concernant l’appropriation de notre histoire.

L’Agenda 2063, sa mise en œuvre et les étapes qu’il a fixées ont permis ce changement. L’Agenda 2063 a pour objectif de mobiliser et d’unir tous les Africains et la diaspora dans l’action autour de la vision commune d’une Afrique pacifique, intégrée et prospère. Comme cadre global, l’Agenda 2063 a permis la cohésion interne de nos différents cadres et plans adoptés sous l’égide de l’OUA et de l’UA. Il a relié et coordonné nos nombreux cadres nationaux et régionaux dans une dynamique de transformation continentale commune.

La planification à l’horizon des 50 ans nous a permis de rêver, de penser de façon créative, et de devenir parfois fous comme l’a déclaré l’un des ministres qui a accueilli la retraite ministérielle 2014, en nous voyant franchir les obstacles immédiats.

Ancré dans le panafricanisme et la Renaissance africaine, l’Agenda 2063 a promu les valeurs de solidarité, de confiance en soi, de non-sexisme, d’autonomie et de célébration de notre diversité.

Au fur et à mesure que nos sociétés se développaient, que nos classes ouvrières et moyennes augmentaient, que les femmes prenaient leur place dans nos sociétés, notre héritage et nos industries de loisirs ont augmenté, de même que nos arts et notre culture, notre littérature, nos médias, nos langues, notre musique et notre cinéma. Le grand projet d’Encyclopédia Africana de WEB du Bois devint enfin réalité et Kinshasa est aujourd’hui la capitale mondiale de la mode.

D’entrée de jeu, la diaspora, dans les traditions du panafricanisme, a joué son rôle grâce aux investissements, en revenant sur le continent, dotée de ses compétences et apportant sa contribution non seulement au lieu d’origine, mais là où il y avait des besoins et des opportunités.

Permettez-moi de conclure cet e-mail, avec quelques nouvelles de la famille. Les jumeaux, après avoir achevé leurs études spatiales à l’Université de Bahir Dar, ont décidé de prendre un mois de vacances pour parcourir le continent avant de commencer leur travail à l’Agence spatiale africaine. Mon vieil ami, il aurait été impossible de le faire en un mois à notre époque !

Mais, l’African Express Rail relie maintenant toutes les capitales de nos anciens États, et ils pourront en effet sillonner et voir la beauté, la culture et la diversité de ce berceau de l’humanité. La merveille de l’African Express Rail, c’est que c’est non seulement un train à grande vitesse avec des autoroutes adjacentes, mais il contient également des pipelines pour le gaz, le pétrole et l’eau, ainsi que des câbles TIC à large bande : la propriété, la planification et l’exécution intégrées africaines à leur meilleur niveau !

Les réseaux routiers et ferroviaires continentaux qui sillonnent maintenant l’Afrique, nos compagnies aériennes dynamiques, nos paysages spectaculaires et nos magnifiques couchers de soleil, les initiatives culturelles de nos villes, font du tourisme l’un des secteurs les plus importants de notre économie.

Notre fille aînée, la linguiste, donne des conférences en kiswahili au Cap-Vert, siège de l’Université virtuelle panafricaine. Le Kiswahili est maintenant l’une des principales langues de travail de l’Afrique, et mondialement enseignée dans la plupart des facultés à travers le monde. Nos petits-enfants rient encore des difficultés que nous rencontrions avec les interprétations en anglais, en français et en portugais lors des réunions de l’UA, comment nous dénoncions le manque d’harmonisation entre la version anglaise et la version française ou arabe. Maintenant, nous avons une lingua franca, et le multilinguisme est à l’ordre du jour.

Rappelez-vous comment nous nous plaignions que notre voix ne soit pas entendue dans les négociations commerciales et au Conseil de sécurité, comment nous étions désorganisés, parfois divisés et nationalistes dans ces forums, comment nous étions convoqués par les différents pays dans leurs capitales pour discuter de leurs politiques sur l’Afrique ?

Comme les choses ont changé ! L’an dernier, la Confédération a fêté vingt ans depuis que nous avons un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, et nous sommes un pôle majeur pour la stabilité, la paix, les droits humains, le progrès, la tolérance et la justice dans le monde.

Mon cher ami, j’espère vous voir le mois prochain en Haïti pour le second cycle des pourparlers d’unité entre la Confédération des États de l’Afrique et les États des Caraïbes. Il s’agit d’une étape logique, car le panafricanisme tire son origine des premières générations en tant que mouvement de libération, d’autodétermination et de progrès communs des Africains du continent mère et de la diaspora.

Je conclus cet e-mail et me réjouis de vous voir en février. J’apporterai quelques-uns des chocolats d’Accra que vous aimez tant et que nos enfants peuvent maintenant s’offrir.

Au revoir et à la prochaine !

Nkosazana.

Auteur de l’article : Agence-Presse

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