Allocution de l’Ambassadeur Antonio Tete, observateur permanent de l’Union Africaine auprès des Nations Unies, sur la situation en République Centrafricaine

ADDIS ABEBA, Ethiopie, 7 janvier 2014/African Press Organization (APO)/ — Allocution de l’Ambassadeur Antonio Tete, observateur permanent de l’Union Africaine auprès des Nations Unies, sur la situation en République Centrafricaine

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil de sécurité des Nations unies,

Au nom de la Commission de l’Union africaine (UA), je voudrais vous remercier de votre invitation et de l’occasion que vous donnez à l’UA de s’adresser à cet auguste organe sur la situation en République centrafricaine (RCA). La présente réunion traduit toute l’attention que le Conseil de sécurité attache aux développements particulièrement préoccupants qui continuent de se dérouler dans ce pays.

Comme vous le savez, c’est le 19 juillet 2013, que le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a autorisé le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA), lui fixant un mandat clair en ce qui concerne la protection de la population civile et la stabilisation de la situation sécuritaire. Le CPS a demandé à votre Conseil de soutenir le déploiement de la MISCA et de prendre les mesures requises à cet effet. Je voudrais ici me féliciter de ce que votre Conseil ait, dans ses résolutions 2121 (2013) et 2127 (2013), appuyé et autorisé le déploiement de la MISCA. Il s’agit là d’une illustration supplémentaire du partenariat étroit qui lie l’UA aux Nations unies.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Depuis le 19 décembre 2013, la MISCA a pris la relève de la Mission de consolidation de la paix de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) en RCA (MICOPAX). Cette relève a été le résultat de consultations intenses avec la CEEAC, dans le cadre de l’Architecture africaine de paix et de sécurité. Je voudrais, encore une fois, exprimer l’appréciation de l’UA à la CEEAC et à la MICOPAX pour le travail accompli dans des conditions particulièrement difficiles. Il va évidemment sans dire que la collaboration entre l’UA et la CEEAC se poursuit, tant il est vrai que la situation requiert une implication continue et active de la région et une mobilisation de toutes les énergies africaines.

Dès le transfert d’autorité, la MISCA, s’appuyant sur les acquis du travail accompli par la MICOPAX, s’est attelée à la mise en œuvre effective de son mandat, guidée en cela par le Concept d’opérations (CONOPS) qui a été adopté en accord avec la CEEAC.

Je voudrais, à ce stade, souligner que les plans initiaux de la MISCA ont été fortement contrariés par les attaques lancées, le 5 décembre 2013, contre les forces gouvernementales par des éléments armés, au départ non identifiés, mais qui se sont révélés par la suite être du groupe dit des anti-Balaka. À la suite de ces évènements sanglants, et dans le prolongement de consultations entre les chefs d’Etat de la région et des partenaires de l’UA, le CPS a, le 13 décembre 2013, décidé d’autoriser l’augmentation des effectifs de la MISCA, qui pourrait, en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain, atteindre jusqu’à 6 000 personnels en uniforme.

C’est dire que la MISCA, tout comme l’Opération française Sangaris, est entrée en action dans un contexte particulièrement difficile, marqué par des affrontements entre les anti-Balaka et les ex-Seleka et, parfois, entre simples individus et familles. Cette violence est d’autant plus déstabilisatrice et difficile à contenir qu’elle a pris un caractère communautaire et religieux.

Des crimes odieux ont été commis. Les lynchages, les exécutions sommaires, les pillages et destructions de biens se sont multipliés. Des dizaines de milliers de personnes ont dû quitter leurs domiciles pour trouver refuge dans d’autres zones de la ville de Bangui jugées plus sûres, en particulier la zone aéroportuaire.

De fait, dès sa prise de fonction, la MISCA a dû prendre des mesures pour faire face à cette situation. Le renforcement des effectifs sur le terrain, consécutivement à l’arrivée du contingent burundais, a permis de contenir la vague de violence et de répondre tant bien que mal aux multiples sollicitations dont les forces de la MISCA étaient l’objet, tantôt pour des escortes, tantôt pour tenir des points fixes, tantôt pour sécuriser des commerces et des édifices publics. Positionnées en différents endroits de la ville de Bangui, les troupes de la MISCA déployées dans la capitale ont dû initialement tenir des points fixes, cependant que les patrouilles étaient laissées aux éléments de l’Opération Sangaris, plus mobiles et dotés de moyens de communication adéquats.

Depuis lors, les forces militaires et de police ont adopté de nouveaux plans de sectorisation afin de réaliser un maillage satisfaisant aussi bien de la capitale Bangui que du reste du territoire centrafricain. Le déploiement imminent du contingent rwandais, ainsi que la fourniture d’un certain nombre d’équipements de communication, de mobilité et de protection devraient permettre à la MISCA d’accélérer la sécurisation de la ville de Bangui et de s’engager dans la deuxième phase de son déploiement, conformément à son CONOPS.

Lors de la visite de travail qu’ils ont effectuée à Bangui, le 28 décembre 2013, le Ministre des Affaires étrangères de la République du Tchad, les Ministres des Affaires étrangères et de la Défense de la République du Congo et le Commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’UA ont été encouragés par les mesures prises par le commandement de la MISCA pour le redéploiement de ses forces, et ont appelé à éviter toute stigmatisation de contingents relevant de la MISCA. Les Ministres et le Commissaire ont, en outre, souligné la nécessité d’un appui international soutenu pour faciliter la mise en œuvre du mandat de la MISCA tel qu’autorisé par la résolution 2127 (2013) du Conseil de sécurité des Nations unies.

Par ailleurs, je voudrais souligner que les responsables de la MISCA et de l’Opération Sangaris poursuivent leur travail de coordination et de collaboration dans la conduite des opérations de sécurisation de la ville de Bangui. L’accalmie observée ces derniers jours est le résultat de l’action conjointe des deux forces.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

La MISCA s’emploie à travailler étroitement avec les différents responsables centrafricains. A un niveau politique, il s’agit d’encourager les autorités de la transition à travailler étroitement ensemble et à accélérer le calendrier de la transition, ainsi qu’à lancer le nécessaire processus de réconciliation entre les différentes communautés nationales. Il s’agit aussi de les encourager à prendre les dispositions requises pour la reprise effective des activités des services de l’Etat, y compris à travers la maitrise par l’Etat de ses sources de revenus et la gestion transparente des finances publiques.

A un niveau plus opérationnel, l’objectif poursuivi par la MISCA est de favoriser, autant que faire se peut, le retour à une vie normale. De ce point de vue, je voudrais relever que, le 4 janvier 2014, le chef de la MISCA a tenu une réunion avec le Maire de Bangui, les chefs des arrondissements et des quartiers de Bangui et des représentants des agences humanitaires, aux fins de convenir avec eux de mesures pratiques pour répondre aux besoins de sécurité des populations et faciliter le travail des forces militaires et de police. Un Comité a été mis sur pied pour assurer le suivi de la mise en œuvre des mesures convenues. L’un des résultats immédiats attendus porte sur le retour des populations déplacées, en particulier celles installées dans la zone de l’aéroport de Bangui, dans leurs lieux d’habitation.

Dans les jours à venir, la MISCA entend tirer profit de la relative accalmie actuelle, à travers l’accélération de la mise en œuvre des plans de sectorisation de la ville de Bangui et du reste du territoire centrafricain; le développement de stratégies d’appui à la mise en œuvre des programmes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR) et de réforme du secteur de la défense et de la sécurité (RSDS); et l’examen des modalités d’appui au processus électoral, en coordination avec les autres acteurs concernés.

La Commission s’apprête à déployer un premier groupe d’observateurs des droits de l’homme pour soutenir la MISCA dans ce domaine déterminant pour la restauration de la justice et de l’Etat de droit. Les autorités de la Transition, notamment le Premier Ministre, ont été invitées à accélérer la mise en route des structures de l’appareil judiciaire. De même, à la suite de la découverte, le 25 décembre 2013, à Bangui, d’un charnier contenant plusieurs cadavres, une demande a été adressée aux autorités de la transition, afin que le Procureur de la République engage les procédures requises et mène les enquêtes nécessaires pour élucider ces faits.

De même, le Représentant spécial de la Présidente de la Commission et chef de la MISCA, le Général Jean-Marie Michel Mokoko, maintient une collaboration étroite avec les autres membres de la communauté internationale à Bangui, notamment le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies et chef du BINUCA, les représentants de la France, des États-Unis d’Amérique et de l’Union européenne (UE), de manière à faciliter une action internationale coordonnée sur le terrain.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Dire que la MISCA opère dans des conditions difficiles relève de l’évidence. En effet, la Mission reste confrontée à plusieurs défis, liés notamment au manque d’infrastructures dans le pays, qui a rendu la tâche encore plus complexe, alourdi les manœuvres et renchéri considérablement les coûts, ainsi qu’à l’insuffisance des moyens en termes de mobilité aérienne et terrestre et de communication.

Permettez-moi de réitérer ici la reconnaissance de l’UA aux partenaires internationaux qui apportent déjà un appui à la MISCA. Je voudrais ici singulariser l’UE et les Etats-Unis, ainsi que la France, avec laquelle nous opérons sur le terrain.

Il reste qu’un appui supplémentaire de la communauté internationale est requis. Cet appui doit être aussi bien financier que logistique. Nous espérons vivement que la Conférence de donateurs prévue à Addis Abéba, le 1er février 2014, sera l’occasion tant pour nos Etats membres que pour nos partenaires de témoigner concrètement leur appui à la MISCA.

Nous sommes confiants en la capacité de la MISCA à relever les défis de l’heure. La détermination de l’UA est totale, et l’engagement des pays contributeurs de troupes est sans faille. Les personnels de la MISCA s’acquittent de leur mission avec abnégation et un sens élevé du sacrifice, conscients qu’ils sont de participer à un devoir de solidarité africaine envers un pays et un peuple frères en détresse. Les premiers résultats enregistrés sur le terrain, si fragiles soient-ils, nous confortent dans la conviction que les objectifs fixés seront atteints, ainsi que l’UA en a apporté la preuve sur d’autres théâtres d’opérations, notamment en Somalie, avec le soutien ô combien précieux des Nations unies et d’autres partenaires internationaux.

Nous estimons que la priorité pour la communauté internationale, les Nations unies en particulier, doit être de soutenir la MISCA de manière à ce que la Mission puisse créer les conditions minimales requises en vue du déploiement, en temps utile, d’une opération onusienne. Il s’agit aussi de conforter l’action de l’UA et des structures de l’APSA, tant il est vrai que le règlement durable des crises que connait le continent ne pourra se faire qu’à travers le renforcement des capacités africaines. Nos partenaires, quelle que soit leur bonne volonté, ne pourront pas toujours assumer le fardeau du maintien de la paix sur le continent.

Toute autre approche risquerait, de notre point de vue, de compromettre les efforts que la MISCA déploie présentement, avec l’appui de l’opération SANGARIS, en créant une incertitude qui ne fera que fragiliser les gains déjà enregistrés et compliquer la situation sur le terrain. Une telle situation rendrait encore plus difficile le déploiement éventuel d’une opération des Nations unies.

Nous attendons donc du Conseil de sécurité qu’il saisisse l’occasion de cette réunion pour, dans le prolongement de ses résolutions antérieures, réaffirmer fortement son soutien à la MISCA et la nécessité pour tous de faciliter la mise en œuvre de son mandat.

Au-delà du soutien renouvelé à la MISCA, la communauté internationale, y compris les Nations unies, se doit de redoubler d’efforts pour appuyer la mise en œuvre des programmes de DDR et de RSDS, ainsi que le processus électoral. Une assistance financière est aussi rapidement requise pour faciliter la relance des activités économiques. Je ne saurais évidemment passer sous silence la situation humanitaire on ne peut plus préoccupante qui prévaut sur le terrain, et pour laquelle la réponse de la communauté internationale se doit d’être beaucoup plus robuste.

C’est par ces actions concrètes qui répondent aux besoins du terrain que les acteurs internationaux peut utilement contribuer au travail en cours et aider au succès de la MISCA, qui agit non seulement au nom de l’UA, mais aussi de la communauté internationale dans son ensemble.

La réponse à la crise actuelle n’est évidemment pas que militaire et sécuritaire. En vérité, elle est fondamentalement politique. De ce point de vue, l’engagement des autorités de la transition est essentiel. Il importe qu’elles assument pleinement les responsabilités qui sont les leurs. Les efforts qu’elles déploieront dans la conduite effective de la transition et le concours qu’elles apporteront à la MISCA seront cruciaux pour l’aboutissement de nos efforts. Les initiatives de la CEEAC, notamment à travers son Président en exercice et le Président de son Comité de suivi sur la situation en RCA, à savoir Leurs Excellences les Présidents Idriss Déby Itno et Denis Sassou Nguesso, doivent être fortement appuyées.

Je vous remercie de votre aimable attention.

Auteur de l’article : Agence-Presse

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