Allocution de Mme Navi Pillay, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme au terme de sa visite officielle en Algérie

GENEVE, Suisse, 20 septembre 2012/African Press Organization (APO)/ — Conférence de presse, Alger 19 Septembre 2012

Bonjour, et merci d’être venus.

Bien que l’Algérie s’apprête à célébrer sa 50e année en tant qu’État membre de l’Organisation des Nations Unies, il s’agit dela première d’un Haut-Commissaire aux droits de l’homme. Je tiens à remercier le Gouvernement de m’avoir invité, pour l’accueil très chaleureux qui m’a été réservé et pour une série de discussions constructives et substantielles aux plus hauts niveaux du gouvernement, du Parlement et du pouvoir judiciaire

Depuis mon arrivée lundi, j’ai rencontré le président Abdelaziz Bouteflika ainsi que le Premier Ministre, les ministres des Affaires Etrangères, de la Justice et de l’Intérieur, les présidents des deux chambres haute et basse du Parlement et de la Cour suprême et du Conseil d’Etat, ainsi que d’autres parlementaires et des membres de l’appareil judiciaire. J’ai également eu des entretiens approfondis avec un diverses organisations de la société civile engagées dans la défense des droits de l’homme, et avec le Président de l’institution nationale algérienne des droits de l’homme, la Commission nationale consultative pour la promotion et de protection des droits de l’homme.

Je crois que cette visite a eu lieu à un moment particulièrement opportun, alors que l’Algérie elle-même et l’ensemble de la région nord-africaine font l’objet d’évolutions significatives. Cela concerne de nouvelles opportunités d’améliorer les droits de l’homme de la population du pays, et des tensions et les menaces éventuelles découlant des bouleversements dans les pays voisins.

Incontestablement, l’Algérie a i fait d’énormes progrès dans ses efforts pour se remettre de la décennie désastreuse des années 1990, lorsque des milliers d’Algériens, hommes, femmes et enfants ont été tués dans une guerre brutale d’usure entre les groupes extrémistes et les forces de sécurité de l’État, et plusieurs milliers d’autres ont été blessés, endeuillés, déplacées ou ont disparu. Cependant, des incidents violents continuent de se produire, récemment alimentés par la prise de contrôle par les rebelles des pans entiers du nord du Mali.

Les problèmes persistants de sécurité sont à la fois des préoccupations en eux-mêmes et pour leur impact négatif continu sur la jouissance des droits de l’homme de certains secteurs de la société algérienne. Il y a un risque que la préoccupation tout à fait compréhensible de protéger la population contre les extrémistes internes au pays ou provenant de l’étranger est dans une certaine mesure agit comme un frein sur les efforts de réforme entrepris par le gouvernement, plus particulièrement dans son impact sur les organisations de la société civile et défenseurs des droits humains. Une grande partie des discussions que j’ai eues au cours des deux derniers jours ont porté sur la façon de capitaliser sur les progrès déjà réalisés, ainsi que la façon de remédier à certaines lacunes et les problèmes de mise en œuvre.Je me réjouis que l’Algérie ait ratifié la quasi-totalité des principaux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, et au cours de ma visite, le gouvernement a manifesté un certain intérêt à ratifier deux des principaux traités non encore ratifiés, à savoir le Protocole facultatif à la Convention contre la torture (OPCAT), et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

OPCAT est un mécanisme qui permet des inspections inopinées et régulières par des organismes internationaux et nationaux des lieux de détention. Ceux-ci agissent comme un puissant moyen de dissuasion pour les agents de l’État qui pourraient autrement être tentés de pratiquer la torture ou d’autres formes de traitements cruels et dégradants. En ratifiant ce protocole, en plus de la Convention contre la torture, qu’elle a ratifiée en 1989, l’Algérie permettrait de renforcer considérablement ses défenses contre tout retour à l’époque où la torture était monnaie courante. De même, la ratification de la Convention sur les disparitions forcées serait le signe que l’Etat est tout aussi déterminé à ne jamais voir se répéter la terrible situation des années 1990, lorsque plusieurs milliers de personnes ont été victimes de disparition forcée par les forces rebelles et les appareils de sécurité de l’État.

La question des personnes disparues demeure très sensible en Algérie. Je félicite le gouvernement pour son système de réparations destiné aux familles des victimes – basé sur la Charte pour la paix et la réconciliation nationale- et l’exhorte à prendre d’autres mesures pour leur fournir plus d’informations sur le sort des membres de leur famille et si possible de leur indiquer leur emplacement ou celui de leurs dépouilles. Le sentiment que les informations qui pourraient être mis à disposition ne sont pas divulgués remuent le couteau dans une plaie déjà très profonde. Pour une mère de ne pas savoir ce qui est arrivé à son fils ou pour une fille d’être privé d’informations au sujet de son père disparu est un élément qui perpétue une cruelle douleur.

À cet égard, j’ai été heureuse d’apprendre que le gouvernement a décidé d’accepter la demande de longue date de l’organe indépendant d’experts de l’ONU, connu sous le nom du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, de visiter le pays pour donner des conseils sur la façon de gérer cette question difficile et profondément tragique. J’espère que cette visite pourra se dérouler rapidement et sans conditions préalables.

J’ai aussi suggéré qu’un autre expert indépendant des Nations Unies, le Rapporteur spécial –nouvellement désigné- sur la promotion de la vérité, la justice, réparation et des garanties de non-répétition, soit invité à visiter le pays pour aider à régler certaines des questions en suspens relatives à la décennie de violence massive qu’a connu l’Algérie. De même, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans la lutte antiterroriste, pourrait fournir des indications précieuses sur la façon de concilier ces deux impératifs vitaux de sorte que l’un ne porte pas atteinte ou n’annule l’autre.

Au cours des dernières années, l’Algérie a ouvert ses portes à plusieurs Procédures spéciales (terme générique employé pour les Rapporteurs Spéciaux et Groupes de Travail), et je crois que cela – avec l’invitation qui m’a été faite, est un signe clair que le pays souhaite réellement tirer parti de l’expertise internationale disponible conçue pour appuyer les États dans leurs efforts pour l’amélioration de la situation des droits humains de leurs habitants. Idéalement, il serait lieu de rejoindre le groupe de pays qui ont adressé une invitation ouverte et permanente à toutes les Procédures Spéciales afin d’effectuer des visites quand et où ils le ils souhaitent. Bien que leurs conclusions puissent parfois mettre mal à l’aise, elles peuvent aussi offrir le stimulus et l’expertise nécessaire pour promouvoir un véritable changement bénéfique.

Au sujet de la critique constructive, je voudrais revenir à l’une des questions majeures des droits de l’homme dans l’Algérie d’aujourd’hui, à savoir les restrictions et les obstacles placés sur le chemin des organisations de la société civile.

La liberté d’expression des médias s’est considérablement améliorée au cours de ces dernières années, conduisant à une presse locale d’investigation, fougueuse, e et relativement intrépide. De même, l’émergence de nouvelles libertés politiques sont clairement illustrées par le grand nombre de partis politiques représentés au Parlement depuis les élections du mois de mai. Cependant les droits à la liberté d’association et la liberté de réunion pour divers autres secteurs importants de la société tels que les organisations de la société civile, défenseurs des droits humains et des syndicats est une source d’inquiétude et s’est peut-être même détériorée au cours de l’année écoulée, en partie en raison d’une répression apparente par les forces de sécurité qui s’appuient sur un article controversé du Code pénal à savoir l’article 100, et en partie aussi à cause des restrictions très critiquées contenues dans la nouvelle Loi sur les Associations adoptée au mois de Décembre.

Les Organisations de la société civile font partie de la force vitale d’une société libre et démocratique, où les droits de l’homme de tous les individus sont respectés conformément aux normes internationales établies par les États, y compris l’Algérie – qui, comme je l’ai déjà dit, a un bilan remarquable de la signature des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Ce sont les organisations de la société civile qui luttent pour les droits des couches les plus vulnérables de la société – les pauvres, les couches marginalisées et autres victimes de discrimination. Ce sont les organisations de la société civile qui jouent un rôle déterminant dans le maintien de la primauté du droit en dénonçant la corruption et d’autres abus. Leur persistance et l’exubérance ne sont pas toujours appréciés par les autorités, mais – comme les médias et les partis politiques de l’opposition – ils fournissent l’un des contrôles et de contrepoids essentiels qui aident à créer un meilleur environnement des droits humains.

Pour réaliser leur potentiel, elles doivent être autorisées à opérer sans contraintes excessives. J’ai donc été très préoccupée d’apprendre qu’elles sont confrontées à des contraintes juridiques et administratives en Algérie, et que certains membres de la société civile sont aussi fréquemment harcelés, intimidés et arrêtés arbitrairement par les forces de sécurité, et ne bénéficient pas d’une protection suffisante contre ces pratiques abusives par le cadre juridique existant .

Tout en reconnaissant que la force motrice de cet état des choses est enracinée dans les préoccupations sécuritaires, j’encourage le Gouvernement à réviser les lois et les pratiques relatives aux organisations de la société civile et à la liberté de réunion, et à demander à toutes les forces de sécurité de s’abstenir de violer les instruments internationalement reconnus qui garantissent le droit à la liberté d’association, comme l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et à l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui est un traité contraignant ratifié par 167 États, y compris Algérie.

L’Algérie peut être très fière en ce qui concerne les réformes engagées ces dernières années. La fixation d’un quota d’un minimum de 30 pour cent pour les femmes membres du Parlement, qui a entraînée l’élection de 146 femmes en mai, est une réalisation courageuse et louable. Des progrès similaires ont été accomplis dans plusieurs professions de premier plan telles que le justice et la médecine, et l’Algérie est sur la bonne voie pour devenir un leader des droits des femmes dans la région et au-delà. Les élections elles-mêmes ont été reconnues comme un grand succès par le grand nombre d’observateurs internationaux qui étaient présents. D’autres points positifs importants sont à noter sur le front des droits humains tels l’accent mis sur l’amélioration des droits sociaux et économiques en augmentant la capacité des écoles et des universités, les projets gigantesqueconçus pour apporter de l’eau et l’énergie aux régions pauvres et sous-financées dans le sud du pays, et le projet de construction de 1,5 millions d’unités de nouveaux logements sociaux sur une période de cinq ans.

Si elle réussit dans cette entreprise, en continuant à faire progresser les droits des femmes, à faire un sérieux effort pour s’attaquer au désolant phénomène potentiellement très dommageable du chômage des jeunes, et corrige certains des autres problèmes décrits précédemment, l’Algérie est bien placée pour jouer un rôle de leadership inspirant sur les droits de l’homme dans la région et au-delà.

Avec autant de tourmente connue par la région au cours des deux dernières années, j’espère sincèrement que l’Algérie pourra réaliser son potentiel, et j’ai offert au Gouvernement et autres institutions étatiques tout le soutien et les mécanismes de coopération technique qui sont à ma disposition. Je crois sincèrement que cette brève, visite sans précédent a créé un espace pour une relation beaucoup plus étroite et plus fructueuse entre les différentes branches du système onusien des droits de l’homme et le Gouvernement et le peuple de l’Algérie.

Merci.

Auteur de l’article : Agence-Presse

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